Henry Frugès était un important industriel de la région bordelaise. Homme cultivé, à l’esprit novateur et entreprenant, il s’adresse en ces termes à Le Corbusier : “Votre livre, Vers une architecture, exprime bien mieux que je n’avais su le faire jusqu’à présent moi-même des idées de logique et de progrès qui me sont chères”.
Ces quelques lignes marquent le début d’une longue collaboration entre Le Corbusier, Pierre Jeanneret et Henry Frugès.
Après une première expérience en 1923 de construction à Lège pour loger ses ouvriers, H. Frugès décide de lancer une opération immobilière destinée à permettre aux ouvriers d’accéder à la propriété en bénéficiant des avantages apportés par l’architecture moderne. Il acquit un vaste terrain à Pessac, au lieu-dit Le Monteil, “dont l’air pur des pins avait grand renom”, et en confie l’aménagement à Le Corbusier en ces termes : ”Je vous autorise à réaliser dans la pratique vos théories jusque dans leurs conséquences les plus extrêmes. Pessac doit être un laboratoire.
En un mot clair : je vous demande de poser le problème du plan de la maison, d’en trouver la standardisation, de faire emploi de murs, de planchers, de toitures conformes à la plus rigoureuse solidité et efficacité, se prêtant à une véritable taylorisation par l’emploi des machines que je vous autorise à acheter. Vous munirez ces maisons d’un équipement intérieur et de dispositifs qui en rendent l’habitation facile et agréable. Et quant à l’esthétique qui pourra résulter de vos innovations, elle ne sera plus celle des maisons traditionnelles coûteuses à entretenir, mais celle de l’époque neuve contemporaine. La pureté des proportions en sera la véritable éloquence.”
Avec un tel programme, Pessac apparaît comme la première expérimentation d’une théorie globale de l’habitat moderne qui concerne en même temps l’urbanisme, les techniques de construction et l’esthétique.
Nous profitons du diaporama ci-dessous pour vous présenter des parties non réalisées du projet, situées sur les secteurs A (avenue Henry Frugès) et B (autour de la place), entre la place du Monteil et le chemin vicinal N°24 qui deviendra la rue Arnozan. Ce secteur comprenait un immeuble porche à deux étages et passages de voitures par dessous, et qui signait l’entrée du projet sur la place du Monteil.
Le long de l’avenue Frugès, suivaient des maisons en bandes continues jusqu’à une place.
Le côté Est de la place (école actuelle) comprenait un fronton basque, des commerces, un café... Le Côté Ouest était arboré et accueillait un château d’eau. Vingt ans avant la première cité des Castors qui vit le jour à Pessac, nous avions là un programme de village presque autonome. Dans l’enthousiasme d’un tel projet Henry Frugès continuait à chercher des terrains à acheter pour étendre ses Quartiers Modernes. L’histoire ira en sens contraire, l’obligeant à se limiter à 53 maisons dont 51 furent construites, toutes sur le secteur C&D.
Le destin funeste de la 51ème, seul exemplaire d’un septième modèle, mérite réflexion, car elle manque aux QMF et mériterait d’être reconstruite comme d’autres dommages de guerre.