(Eté 2008 : Portrait tronqué de Monsieur W.H. repeignant les volets de sa maison classée monument historique.)
 
Dans son enquête, Philippe Boudon a montré l’ambiguïté du principe fonctionnaliste qui a sous-tendu la démarche de Le Corbusier. Certaines de ses trouvailles “pratiques” ont été ressenties par les habitants comme des entraves ou des illogismes. Et il est vrai que plusieurs d’entre elles n’ont d’autre raison qu’esthétique. Il en est ainsi de la belle succession d’arcades, des effets de transparence des abris au sol, des terrasses et, surtout, des escaliers extérieurs dont la justification est surtout plastique. Mais la logique de Le Corbusier prend en compte une certaine poétique totalement étrangère aux utilisateurs. Alors que la presse locale constatait avec prudence que les constructions répondaient à une “esthétique tout à fait neuve qui semble étrange  lors de la première visite mais à laquelle l’oeil s’accoutume rapidement”, ces derniers réagirent très négativement au style dépouillé du béton armé, à la géométrie accusée des lignes, à l’absence totale de mouluration et de décor sculpté. La malice populaire affubla la cité des sobriquets de “quartier marocain”, de “quartier du sultan”, ou encore de “Rigolarium”. S’il faut en croire Henry Frugès, qui s’attribue la paternité de l’idée, c’est pour atténuer cette sévérité cubiste qu’il fut décidé de peindre les murs des maisons avec des couleurs différentes.
 
Depuis, les habitants se sont ingéniés à faire subir à leur maison toutes sortes de transformations afin de les adapter à leur goût : les baies horizontales ont été bouchées et remplacées par des fenêtres verticales (certaines suites aux dégâts du bombardement de la voie ferrée en 1942 qui basculera la 51ème maison), des menuiseries métalliques ont été supprimées, les abris ont été fermés, les terrasses ont été couvertes par des appentis ou des toits de tuiles et de tôles...
 
La “Cité Frugès”, déclinera ainsi jusque dans les années 70. Et ce malgré une proposition d’inscription à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques de 1969 qui semble avoir été refusée en dernier ressort.  En 1974, un nouvel habitant , Monsieur William Héraud, s’intéresse au devenir de ce patrimoine. En obtenant le classement historique de sa maison en 1980, il protège ainsi toutes les constructions dans un rayon de 500 mètres. En 1985 était définie la politique de restauration douce du quartier, avec la participation d’un architecte local, Jean-Luc Veyret, et lancé un chantier expérimental sur une maison acquise par la ville, au 4 rue LC, qui devient le musée de la cité.
 
1994 et 1995 sont des années fastes, car le règlement de ZPPAUP (Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager) est enfin bouclé, et dans la foulée les espaces publics sont traités, les réseaux enterrés, l’éclairage public revu. L’OPHLM Aquitanis acquiert 4 maisons et les rénove courant 1995.
 
Quant à la restauration des maisons du domaine privé, elle passe par l’adhésion des habitants,- (voir la page “Vivre aux Q.M.F.”) -, et relève du parcours du combattant !
Dans cette aventure, l’action associative aura été déterminante.  L’Association des Amis de Le Corbusier et de la cité Frugès créée à l’initiative de William Héraud a soutenu la renaissance du quartier jusqu’à sa “mise en sommeil” en mai 1995. En mars 2008, une “Commission des Habitants de la cité Frugès” s’est constituée au sein du Comité des Quartiers du Monteil, afin d’être un lieu de débat et de propositions sur le devenir de la cité, et de servir de relais avec les autorités municipales. En septembre 2009, suite à l’activisme de la Commission des Habitants de la cité Frugès, et en réaction aux décisions injustes de la DRAC-MH de n’inscrire que quelques maisons sur la liste supplémentaire des monuments historique, parmi une vingtaine de demandes, des habitants décident de se prendre en main (enfin) et créent une nouvelle association ne dépendant pas d’une structure externe telle que le Comité des Quartiers du Monteil, et l’appellent “Vivre aux Q.M.F” à l’instar d’une des pages de ce site.
 
Le classement possible au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’Unesco représente une puissante motivation à rénover, tant pour la Ville de Pessac que pour les habitants. Il est maintenant impératif que soit créée une OPAH, Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat, spécifique pour ce quartier. En effet, le coût d’achat actuel des maisons, la crise économique, la baisse des revenus, les taux d’emprunts bancaires, la spécificité et la cherté des travaux, la rareté des entreprises compétentes, tout se conjugue pour annihiler les espoir et les efforts des habitants. Seul des solutions de financements aidés et personnalisés pourront débloquer la situation. Mais il faudra aussi penser à un accompagnement technique et logistique afin que ces finances ne soient pas dépensées en vains travaux. L’expérience prouve que les rénovations faites ne durent pas bien longtemps, et souvent moins que la garantie décennale. Par ailleurs, il faut trouver une compensation au fait que ces maisons ne pourront jamais être mises aux normes des mesures prises en accord avec le Grenelle de l’Environnement. Aucune norme RT actuelle ou future n’étant réellement applicable à ces maisons construites à l’époque où le bois de chauffage était quasiment gratuit et le charbon un combustible courant, il va de soi que leurs propriétaires ne peuvent profiter de la plupart des subventions prévues pour l’amélioration de logement contemporains.
Ces maisons n’ont “d’énergie positive” que la passion qu’elles dégagent.
 
Une (r)évolution mouvementée
La maison “Chimère” bombardée en 1942 (W.Héraud)
Bâchée après la tempête de 1999
Fenêtres réduites, appentis, galetas ...
Couverture
Une Arcade modifiée dont l’espace de voûte est en partie comblé  ...
... et sa voisine classée monument historique
Zig zag “rénovée”...
... avec ses nouvelles fenêtres.
Décoration “de bon goût”...
Décoration “de mauvais goût”...
Gratte-Ciels côté jardin : cheminée neuve inox, appentis, grenier et “bunkerisation” d’une double Gratte-ciel.
Ce que vous verrez depuis la fenêtre de la cuisine du Musée de la cité.
Modifications sur Gratte-ciel (Boudon)
Modification sur Quinconce (Boudon)
Modifications sur Zig-zag (Boudon)
Mutations de fenêtres sur Quinconces (Boudon)