“Pessac doit être un laboratoire...”
                                                                                                                    (Henry Frugès à Le Corbusier)
 
PESSAC revêt une importance capitale d’un point de vue historique, dans la mesure où une documentation abondante tirée des affaires personnelles de l’architecte (croquis, dessins, lettres, prospectus) nous permet d’analyser le processus selon lequel la théorie fut mise en pratique. Il est rare de pouvoir saisir d’aussi nombreux aspects d’un effort de création complexe et ardu, et de pouvoir discerner aussi nettement son contexte socio-économique et politique.
En outre, une étude de l’architecte Philippe Boudon montre comment, depuis leur achèvement, les cinquante(-trois) logements ont été modifiés et adaptés aux besoins ou aux goûts des habitants et nous livre en somme l’histoire de la vie d’un projet.
Enfin, la qualité esthétique de chaque logement comme de tout l’ensemble est assez remarquable pour que l’expérience de Pessac fasse figure d’événement. bien que fondées sur des modules aux dimensions standardisées engendrant une unité toute répétitive de formes et de volumes, les combinaisons obtenues présentent finalement une grande variété. Pour les façades extérieures, Le Corbusier adopta le parti original de faire alterner des couleurs pastel (brun, vert, bleu clair) et du blanc, selon un rythme très étudié, le propos étant d’atténuer l’impression de densité du bâti et d’animer les surfaces nues et lisses des constructions. En outre, les maisons possédaient toutes un toit-terrasse, un patio ou une pergola d’où l’on pouvait admirer le paysage environnant.
Le suprême hommage à ces maisons, financées par le client éclairé qu’était Henry Frugès, fut rendu par leur propre architecte : bien que contrarié par bon nombre des transformations apportées par les occupants successifs, Le Corbusier déclara que les maisons avaient prouvé leur faculté d’adaptation à long terme, et que l’usager, en fin de compte, avait toujours raison.
                                                                                                        B.B. Taylor
La Scène :         PESSAC
 
Les Acteurs :    LE CORBUSIER
 
                           Henry FRUGÈS
 
                           Pierre JEANNERET
Livre de Ph.Boudon
1ère éd.1985 Dunod
Henry Frugès fabriquant la maquette.Archives INA
Portrait LC
Limot Paris 1934
Pierre Jeanneret
Qui était Henry Frugès ?

Henry Frugès, né en 1879, possédait* avec son père une raffinerie de sucre , située à Bordeaux,  quai Ste Croix, ainsi qu’une fabrique de caisses (pour le sucre) à Lège, près du bassin d’Arcachon. L’entreprise et la marque furent rachetées en 1930 par Beghin Say mais on trouvait encore la marque « Sucre Frugès » dans les rayons des grandes surfaces de Bordeaux jusqu’au milieu des années 80. 
Il était donc de la même génération que Le Corbusier et  avait un peu moins de 40 ans au début de ses relations avec ce dernier.
Débordant d’activité, artiste lui même, il se définissait comme « chercheur, artiste multivalent, architecte (sans DPLG), peintre (de la fresque à la miniature sur ivoire), sculpteur, pianiste et compositeur, membre de la SACEM de Paris, écrivain, critique d’art, historien,… »
Avant de rencontrer Le Corbusier, il avait totalement remodelé, entre 1913 et 1924,  un hôtel particulier du centre de Bordeaux avec l’aide d’architectes et d’artistes reconnus dont le verrier Daum. Il voulait en faire « un petit musée des arts et des techniques du début du 20ème siècle ». Cet immeuble situé à proximité immédiate de la basilique St. Seurin est classé au titre des Monuments Historiques depuis 1992.
Pour lui, comme pour Le Corbusier, la fin de la guerre de 14/18 marquait le début d’une ère nouvelle et tout particulièrement dans les domaines de l’architecture et du logement. C’est à la suite de la lecture d’un article  de celui qui était encore un inconnu  dans une revue confidentielle appelée « l’Esprit nouveau » qu’il prit contact avec l’architecte et lui confia, aux tous débuts des années 20, la conception de quelques maisons près de son usine de Lège pour y loger ses ouvriers. Cet ensemble aujourd’hui propriété d’un office d’HLM, et presque entièrement rénové, a fait l’objet d’une inscription à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques.
Fort de cette première expérience, Henry Frugès esprit généreux et désireux « de contribuer au devoir national d’aide à ses compatriotes sans abri » demanda à Le Corbusier d’étudier la réalisation, à Pessac, d’une cité-jardin de 150 à 200 villas. Il ne s’agissait plus ici de loger ses ouvriers mais de proposer aux « gens ordinaires » des logements peu coûteux,  modernes, lumineux, équipés de chauffage central, salle d’eau, WC à l’intérieur…
La suite, c’est l’histoire des « Quartiers Modernes Frugès ». Seules environ 50 maisons furent construites. Elles coûtèrent 4 fois le prix prévu, leur aspect choqua profondément les bordelais, Henry Frugès y perdit une partie de sa fortune et fit une dépression…

Heureusement les 50 maisons sont toujours là et nombre d’entre-elles sont rénovées.

Merci Henry Frugès.                                                                                                         W.H.

* Le père de Henry Frugès s’appelait Monsieur Baronet. Ce dernier était l’associé du propriétaire de la sucrerie, Monsieur Henri Frugès, qui était sans descendant. Cet Henri (avec i) a donc légué sa sucrerie à Monsieur Baronet, lequel a changé de nom et s’est appelé “Baronet-Frugès”.
C’est seulement au décès d’Henri que Monsieur Baronet-Frugès deviendra propriétaire de la sucrerie qu’il dirigera jusqu’à sa mort en 1928.
Ainsi notre Henry (avec y) hérite à son tour de la raffinerie. Henry était le filleul d’Henri et il avait choisi de mettre un y grec à son prénom pour se distinguer de son parrain.
                                                                    
                                                                                                                                Note de C. D. Qui était Pierre Jeanneret ?
(1896 – 1967)

Pierre Jeanneret naquit en Suisse, à Genève,  en 1896.
De 1913 à 1915, il suivit des cours d’architecture, de sculpture et de peinture à l’Ecole des beaux-Arts de Genève, où il remporta le Ier prix dans les trois disciplines !
Il collabora avec son cousin Le Corbusier pendant une vingtaine d’années. Mais il resta dans son ombre. 
Toujours associé à tous les projets de Le Corbusier (La Cité Frugès, La Villa Savoye,  La Cité Refuge, Le Pavillon Suisse, l’Immeuble Clarté, etc…). Etant chef d’atelier, il était présent à l’Agence de la rue de Sèvre du matin au soir, assurant les contacts,  surveillant l’exécution des travaux, (alors que Le Corbusier ne s’y rendait que les après-midi). Un autre de ses rôles était de trouver des solutions concrètes aux idées de Corbu. Même si à partir de 1928, ce fut Charlotte Perriand qui fut chargée du « département équipement », il réalisa avec elle et Le Corbusier, la création de nombreux meubles.
Peu après l’occupation de Paris, en 1940, l’agence dut fermer ses portes et Pierre Jeanneret se rendit avec Le Corbusier à Ozon dans les Hautes Pyrénées jusqu’en 1941. Ils se séparèrent en 1942 quand Pierre rejoignit Grenoble et que le second, lui, se rendit à Vichy pour participer à la « reconstruction » de la France. 	

Après la Guerre, de retour à Paris, l’architecte, enfin indépendant, poursuivit ses recherches qu’il avait entreprises pendant la guerre, sur l’habitat préfabriqué. Il dessina des projets de chalets dans les Alpes, mais sa seule réalisation fut une maison de vacances sur l’île bretonne de Bréhat en 1947.
De 1946 à 51 il étudia, en collaboration avec Jean Prouvé, le système de Maisons à Eléments Préfabriqués, il fut aussi chargé de rénover la Villa Lipchitz, et les façades de la Cité Refuge et du Pavillon Suisse. Il poursuivit ses recherches sur le mobilier avec Charlotte Perriand.
Avec son nouvel associé, l’espagnol Dominique Escorsat et en collaboration avec le bureau de Jean Prouvé, il réalisa en 1949 le Centre Technique de Béziers.  Mais en générale les commandes étaient rares et quand en 1950 Le Corbusier lui parla du projet de Chandigarh, en Inde, Pierre Jeanneret réintégra l’univers de son cousin. 

Il accepta de réaliser le plan directeur que Le Corbusier avait fait de la capitale du Panjab. En 1951, il suivit les chantiers du Palais de l’Assemblée, du Secrétariat et de la Haute Cour de Justice et il construisit l’Université (où on lui doit notamment la bibliothèque Gandhi Bhawan), des écoles, de nombreuses maisons d’habitations et des hôtels.  Sans Pierre Jeanneret, Chandigarh n’aurait pas vu le jour. 
Il s’investit tellement dans le projet, cherchant même à connaître et comprendre les besoins des indigènes, à s’intégrer à la vie locale, qu’il resta en Inde pendant 14 ans. Il construisit à Pandoh, à Sundernagar, à Ahmedabad.
Il fut nommé directeur de l’Ecole d’Architecture de Chandigarh et architecte et urbaniste en titre de l’Etat du Panjab.
Durant toutes ces années, il continua à créer des meubles comme il le faisait déjà avec Le Corbusier. Il le fit avec des éléments rudimentaires tels que le bambou ou le bois brut. 
En 1965, pour des raisons de santé, Pierre Jeanneret quitta définitivement ce qu’il considérait comme son « foyer » pour retourner en Suisse. Pourtant malade, en 1966-67 il réalisa une nouvelle ville : Talwara (Panjab)
Il mourut en Suisse le 4 décembre 1967. Conformément à son désir, en avril 1970, ses cendres furent transportées à Chandigarh et dispersées dans le lac Sukhna. 
                                                                                                                                        C.D
Qui était Le Corbusier, de son vrai nom Charles-Édouard Jeanneret ?
Appel : Nous cherchons des photos et portraits de tous les acteurs du chantier :
Le Corbusier, Pierre Jeanneret, Henry Frugès, Vrinat, et les officiels : maire, ministres....
Plan d’accès au Musée